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L’absurdité de la vie sans Dieu

Summary

Pourquoi la vie dans le cadre de l'athéisme n'a pas de sens, de valeur ou de but ultime, et pourquoi ce point de vue n'est pas tenable.

La nécessité de Dieu et de l'immortalité

L'homme, écrit Loren Eiseley, est l'orphelin cosmique. Il est la seule créature de l'univers qui a la capacité de se demander « Pourquoi ? ». Les autres animaux ont des instincts qui les guident, mais l'homme a appris à se poser des questions. « Qui suis-je ? » se demande l’homme. « Pourquoi suis-je là ? Quelle est ma destiné ? », s'interroge-t-il. Depuis l'époque des Lumières, depuis qu'il a secoué les chaînes de la religion, l'homme a essayé de répondre à ces questions sans faire référence à Dieu. Mais les réponses qui ont été forgées n'avaient rien d'exaltant, elles étaient plutôt sinistres et effrayantes. « Vous êtes le sous-produit accidentel de la nature, le résultat de la matière associée au temps et au hasard. Votre existence n'a aucune raison d'être. La seule chose qui vous attende, c'est la mort. »

L'homme moderne croyait qu'en se débarrassant de Dieu, il se libérerait de tout ce qui l'étouffait et le contraignait. Mais au lieu de cela, il découvrit qu'en tuant Dieu, il n'avait réussi qu'à se rendre orphelin. Car si Dieu n'existe pas, alors la vie de l'homme est absurde.

Si Dieu n’existe pas, alors l’homme et l’univers sont tous deux inévitablement condamnés à mort. L’homme, comme tout autre organisme vivant, doit mourir. Sans espoir d'immortalité, la vie de l'homme se termine au fond d'une tombe. Sa vie n'est qu'une étincelle dans la noirceur infinie, une petite flamme qui apparaît, qui vacille et qui s'éteint pour toujours. Ainsi, chacun doit se confronter à ce que le théologien Paul Tillich a nommé « la menace du non-être ». Car bien que je sache maintenant que j'existe et que je suis vivant, je sais aussi qu'un jour je n'existerai plus, que je ne serai plus et que je mourrai. Cette pensée est bouleversante et effrayante : penser que la personne que j'appelle « moi » va cesser d'exister. Je ne serai plus !

Je me souviens très bien de la première fois où mon père m'annonça que je mourrais un jour. En tant qu'enfant, cette pensée ne m'avait encore jamais traversé l'esprit. Quand il me l'a annoncé, j'étais rempli d'une peur et d'une tristesse insoutenable. Bien qu'il ait essayé à plusieurs reprises de me rassurer en me disant que cela n'aurait lieu que dans très longtemps, cela ne me semblait avoir aucune importance. Tôt ou tard, le fait indéniable était que je mourrais et cesserais d'exister. Cette pensée me bouleversait. Avec le temps, comme chacun d’entre nous, j'en vins à accepter simplement le fait. Nous apprenons tous à vivre avec l'inéluctable. Mais la perception de l'enfant n'en demeure pas moins vraie. L'existentialiste français Jean-Paul Sartre a fait observer avec justesse que lorsque vous avez perdu l'éternité, quelques heures ou plusieurs années n'y changent rien.

Que ce soit rapidement ou tardivement, la perspective de la mort et la menace de ne plus être sont terrifiantes et horribles. J'ai un jour rencontré un étudiant qui ne ressentait pas cette menace. Il disait avoir été élevé dans une ferme et être habitué à voir naître et mourir les animaux. La mort était pour lui naturelle. Elle faisait partie de la vie en quelque sorte. La différence entre nos deux perspectives sur la mort me rendait perplexe, et je ne comprenais pas comment il pouvait être insensible à la menace de cesser d'exister. C'est la lecture de Sartre qui me donna la réponse, des années plus tard. Sartre observa que la mort n'avait rien d'effrayant aussi longtemps qu'il s'agissait de la mort de l'autre, c'est-à-dire, en quelque sorte, la considérer depuis le point de vue d'un tiers. Ce n’est que lorsque nous intériorisons la mort et la considérons à la première personne, « ma mort : je vais mourir », que la menace du non-être devient une réalité. Sartre remarqua aussi que la plupart des personnes n'assumaient jamais cette perspective à la première personne durant leur vie ; il est même possible de regarder sa mort du point de vue d'un tiers, comme si c'était celle d'un autre ou d'un animal, comme c’était le cas pour mon ami. Mais la véritable signification existentielle de ma mort ne peut être appréciée qu'à partir de la première personne, au moment où je prends conscience que je vais mourir et donc cesser d'exister à jamais. Ma vie n'est qu'une transition passagère de l'oubli à l'oubli.

L'univers se trouve, lui-aussi, confronté à sa propre mort. Les scientifiques nous disent que l'univers est en expansion et que les galaxies s'éloignent de plus en plus les unes des autres. Au cours de ce processus, l'univers se refroidit et perd toute son énergie. À terme, toutes les étoiles finiront par cesser de briller et toute la matière s’effondrera, laissant des étoiles mortes et des trous noirs. Il n'y aura plus ni lumière, ni chaleur, ni vie ; rien d'autre que les déchets des étoiles mortes et des galaxies en éternelle expansion dans un univers sans fin, vers les profondeurs glacées de l'espace – un univers en ruines. Ainsi, non seulement le destin de chaque individu est scellé ; mais aussi celui de toute l’espèce humaine. Il n’y a aucun moyen d'y échapper. Aucun espoir.

Sans Dieu et sans l'immortalité la vie est absurde

Si Dieu n'existe pas, l'homme et l'univers sont condamnés. Tels des prisonniers condamnés à mort, nous attendons notre exécution inévitable. Il n'y a ni Dieu, ni immortalité. Quelle en est la conséquence ? Que la vie elle-même est absurde. Cette vie qui est la nôtre est dépourvue d’un sens ultime, de valeur ou de but. Considérons chacun de ces éléments.

Sans Dieu et sans l'immortalité la vie n'a pas de sens ultime

Si tout individu cesse d'exister quand il meurt, quelle sens ultime peut-on donner à sa vie ? Le fait qu'il ait vécu a-t-il la moindre importance ? Il pourrait être dit que sa vie ait eu de l'importance en raison de son influence sur des événements tiers, mais quel est la sens ultime de chacun de ces événements ? Si aucun événement n'a de sens, alors quel pourrait être le sens ultime d'avoir eu de l'influence sur l'un d'entre eux ? Dans le cadre de la recherche d’un sens ultime, cela ne fait aucune différence.

Voyons cela sous un autre angle : aux dires des scientifiques, l'univers est le résultat d'une explosion appelée le « Big Bang », qui a eu lieu voici treize milliards d'années environ. Supposons que le Big Bang ne se soit jamais produit. Supposons que l'univers n'ait jamais existé. Quelle différence cela ferait-il ? L'univers est condamné à sa propre mort de toute manière. Finalement, que l'univers ait ou non existé ne change rien au problème. Donc, il n'y a aucun sens ultime.

Il en est de même pour l’espèce humaine. Dans un univers qui se meurt, l'humanité est condamnée Puisqu'elle cessera un jour d'exister, qu'elle ait ou non existé ne fait aucune différence au niveau des finalités ultimes. L'humanité n'a donc guère plus de sens qu'un essaim de moustiques ou qu’un élevage de cochons, car tous sont voués au même sort. Le même processus cosmique aveugle qui les a amenés à l'existence les engloutira bientôt de la même manière.

Et il en va de même pour chaque individu. Ainsi, les contributions du scientifique pour faire avancer la connaissance humaine, les recherches médicales visant à soulager la douleur et les souffrances, les efforts du diplomate pour assurer la paix dans le monde, les sacrifices de braves personnes partout dans le monde pour améliorer la situation de l'espèce humaine - tout cela n'aboutit finalement à rien. Voilà l'horreur de l'homme moderne : sa vie s'achève dans le néant, il n'est rien.

Mais il faut bien voir que l'immortalité n'est pas le seul besoin de l'homme pour que sa vie ait du sens. La durée seule de l’existence ne donne pas à cette existence une signification. Car même si l'univers et l'homme existaient pour l'éternité, ils n'auraient pas davantage un sens ultime si Dieu n’existe pas. Pour donner une illustration : j'ai un jour lu une histoire de science-fiction dans laquelle un astronaute était exilé sur un morceau de roche dénudée, perdu dans l'espace lointain. Il avait avec lui deux fioles : l'une contenait du poison, l'autre une mixture qui lui procurerait l'immortalité. Réalisant sa situation difficile et sans issue, il avala à grande gorgée le poison. Mais alors il s'aperçut avec horreur qu'il avait absorbé la mauvaise potion ; celle qui lui donnait l'immortalité. Il était donc voué à vivre une vie absurde et sans fin. Si Dieu n'existe pas, nos vies sont exactement comme celle-ci. Elles pourraient se prolonger encore et encore, sans que pour autant elles aient une quelconque signification. Nous pourrions encore nous demander : « Et alors ? » Pour que la vie ait un sens ultime, ce n’est donc pas seulement l’immortalité dont l’homme a besoin ; l'homme a besoin de l'immortalité et de Dieu. Mais si Dieu n'existe pas, alors ni l'un ni l'autre n'existent.

L'homme du XXe siècle l'a bien compris. En témoigne En attendant Godot de Samuel Beckett. Tout au long de cette pièce, deux hommes ont une conversation ordinaire en attendant un troisième homme qui n'arrive jamais. Nos vies sont comme cela, dit Beckett, nous attendons pour tuer le temps. Mais qu’est-ce que nous attendons ? Nous n'en savons rien. Beckett donne une tragique représentation de l'être humain au travers d'une autre pièce dans laquelle le rideau se lève sur une scène jonchée de détritus. Pendant trente longues secondes, l'auditoire immobile fixe en silence les détritus. Puis le rideau tombe. Point final.

Les philosophes existentialistes français Jean-Paul Sartre et Albert Camus l'avaient également compris. Dans sa pièce Huis clos, Sartre voit la vie comme un enfer - et la pièce se termine par ces paroles de résignation : « Eh bien ! Continuons. » Voilà pourquoi Sartre compare ailleurs la vie à une « nausée ». Camus considérait, lui aussi, la vie comme absurde. À la fin de sa nouvelle, L'étranger, le héros découvre, à travers une intuition furtive, que l'univers est vide de sens et qu'il n'y a pas de Dieu pour lui en donner un.

Ainsi donc, s’il n'y a pas de Dieu, la vie perd tout son sens. L'homme et l'univers sont dépourvus de toute signification ultime.

Sans Dieu et sans immortalité la vie n'a pas de valeur absolue.

Si la vie se termine à notre mort, cela ne fait aucune différence que l'on ait vécu comme Staline ou comme un saint. Pourquoi ne pas vivre comme bon nous semble, étant donné que la destinée d’une personne n’a pas le moindre rapport avec son comportement ? Comme l'a dit Dostoïevski : « [...] sans l’immortalité [...] tout est permis ». Sur un tel fondement, l'écrivain Ayn Rand a parfaitement raison de prôner les vertus de l'égoïsme. Il faut vivre pour soi ; vous n'avez de comptes à rendre à personne ! En effet, il serait ridicule d'agir différemment, car la vie est trop courte pour la mettre en péril en agissant autrement que par pur intérêt personnel. Il serait stupide de se sacrifier pour une autre personne. Kai Nielsen, un philosophe athée qui s'efforce de défendre la viabilité d'une éthique sans Dieu, finit par admettre :

Nous n'avons pas su démontrer que la raison réclame une réflexion d'ordre moral, ni que les individus vraiment rationnels, c'est-à-dire détachés de toute idéologie ou de tout mythe, ne sont pas obligatoirement égoïstes ou amoraux au sens classique du terme. La raison ici n'est pas juge. Le tableau que je vous ai dépeint n'a certes rien d'agréable. Le fait d'y penser me déprime... La pure raison pratique, même avec une bonne connaissance des données factuelles, ne mènera personne à la morale. [1]

Mais la question devient beaucoup plus grave encore. Car, indépendamment de l'immortalité, s'il n'y a pas de Dieu, alors il ne peut y avoir de normes objectives concernant le bien et le mal. Nous restons confrontés, selon les mots de Jean-Paul Sartre, au seul fait de l’existence, fait dénué de toute valeur. Les valeurs morales ne sont qu’affaire de préférence personnelle, ou des dérivés de l'évolution et du conditionnement sociobiologiques. Dans un monde sans Dieu, qui peut décider quelles actions sont bonnes ou mauvaises ? Qui peut décréter que les valeurs d'Adolphe Hitler sont inférieures à celles d'un saint ? La notion de moralité est totalement dévaluée dans un univers sans Dieu. Un éthicien athée contemporain l'exprime ainsi : « Dire que quelque chose est mauvais parce que [...] c'est interdit par Dieu est parfaitement compréhensible pour une personne qui croit en un Dieu qui édicte des lois. Mais déclarer que quelque chose est moralement mauvais [...] alors qu'aucun dieu n'existe pour légiférer et l’interdire, ce n'est pas compréhensible [...] » « La notion d'obligation morale [est] inintelligible en dehors de l'idée de Dieu. Les mots demeurent, mais leur sens a disparu [2]. » Dans un monde où il n'y a pas de législateur divin, il ne peut y avoir ni bien, ni mal objectifs ; seuls subsistent, à la place, des jugements subjectifs, influencés par la culture ou les choix personnels. D'où l'impossibilité de condamner la guerre, l'oppression ou la violence comme des maux. Tout comme il devient impossible de faire l’apologie de la fraternité, de l'égalité ou de l'amour, sous prétexte qu’ils relèveraient du bien. En effet, dans un monde sans Dieu, le bien et le mal n'existent pas. Tout est réduit au simple fait d'être là, fait sans valeur, et personne ne peut dire qui de nous deux (vous et moi) a raison ou tort.

Sans Dieu et sans immortalité la vie n’a pas de but ultime

Si la mort attend à bras ouverts l’homme à la fin de sa course, quel est alors le but de sa vie ? Se peut-il que tout cela soit pour rien ? Sans raison d'être ? Qu'en est-il de l'univers ? Est-il dépourvu de toute finalité ? S'il est destiné à la tombe glaciale, enseveli dans les abysses de l’espace lointain, la réponse est forcément oui ; il n'a pas de finalité. Il n’y a ni 'objectif, ni avenir pour l'univers. Les débris d'un univers mort continueront simplement à dériver sans fin dans l’espace en expansion.

Et qu'en est-il de l'être humain ? N’existe-t-il donc aucun but pour l’espèce humaine ? Va-t-elle simplement disparaître un jour, égarée dans un univers indifférent et sans mémoire ? Le romancier anglais H. G. Wells a envisagé une telle perspective. Dans son romain The Time Machine (La machine à remonter le temps), son héros voyage dans le futur afin de découvrir le destin de l'homme. Il ne découvre rien d'autre qu'une terre sans vie, où poussent quelques lichens et de la mousse, et qui tourne en orbite autour d'un gigantesque soleil rouge. Les seuls bruits sont les coups de vent et le léger et doux clapotis de la mer. Wells écrit : « À part ces bruits assourdis, le monde était silencieux. Silencieux ? Il serait difficile d'en donner une idée. Tous les bruits de la vie, le bêlement des moutons, les cris des oiseaux, les bourdonnements des insectes, toute l'agitation qui constitue le cadre de notre vie humaine, tout cela n'existait plus [3]. » Puis le voyageur du roman de Wells est rentré de son voyage dans le temps. Rentré où ? Vers un point situé plus tôt dans cette course sans but vers l'oubli dans lequel l’univers la précipite. Lorsque j'ai lu le livre de Wells pour la première fois, n’étant pas chrétien à l’époque, j'ai pensé : « Non ! Cela ne peut finir ainsi ! » Mais si Dieu n'existe pas, cela finira ainsi, que vous le vouliez ou non. Telle est la réalité dans un univers sans Dieu : il n’y a aucune espérance, aucune finalité.

Ce qui est vrai de toute l'humanité dans son ensemble l'est aussi de chacun de nous individuellement : notre existence sur terre n'a pas de but. Sans Dieu, notre vie n'est pas fondamentalement différente de celle d'un chien. Comme le dit l'auteur de l'Ecclésiaste : « Le sort des fils de l'homme et celui de la bête est pour eux un même sort ; comme meurt l'un, ainsi meurt l'autre, ils ont tous un même souffle, et la supériorité de l'homme sur la bête est nulle ; car tout est vanité. Tout va dans un même lieu ; tout a été fait de la poussière et tout retourne à la poussière. » (Ecclésiaste 3:19-20). Dans ce livre biblique, qui peut se lire comme un extrait de la littérature moderne existentialiste, l'auteur révèle toute la futilité du plaisir, de l'éducation, de la gloire politique, de la richesse et des honneurs dans un monde voué à l'extinction par la mort. Quel est son verdict ? « Vanité des vanités ! Tout est vanité ! » (Ecclésiaste 3:1-2). Si la vie s'achève à notre mort, nous n'avons aucune raison ultime de vivre.

Et plus encore : même si la vie ne s’achevait pas à notre mort, elle n'aurait toujours pas de finalité si Dieu n'existe pas. Car, dans ce cas, l'homme et l'univers seraient de simples accidents du hasard, jetés dans l'existence sans aucune raison. Sans Dieu, l'univers résulte, en effet, d'un accident cosmique, d'une explosion due au hasard. Il n’y a aucune raison attachée à son existence. Tout comme l'homme, ils sont de simples caprices de la nature ; les produits aveugles de la matière, du temps et du hasard. L'homme n'est qu'un tas de boue qui a développé de la rationalité. Comme l'a dit un philosophe : « La vie humaine s'élève à partir d'un socle de nature subhumaine, et doit naviguer, pour son propre et seul compte, au cœur d’un univers silencieux et sans pensée  [4] »

Ce qui est vrai de l'univers et de la race humaine l'est également de nous en tant qu'individus. Si Dieu n'existe pas, vous n'êtes qu'une erreur de la nature ; jeté dans un univers vide de sens, et voué à vivre une vie sans but.

Donc, si Dieu n’existe pas, cela signifie que l’existence de l’homme et de l’univers n’a aucun but puisque la fin de tout est la mort. Tous deux sont venus à l’existence sans qu’un but quelconque leur ait été assigné, car ils ne sont que les produits d’un hasard aveugle. En bref, la vie est résolument sans but.

Comprenez-vous la portée des deux alternatives qui s’offrent à nous ? D'un côté, si Dieu existe, il y a de l’espoir pour l'homme. De l'autre, la non-existence de Dieu nous laisse face au désespoir. Comprenez-vous pourquoi la question de l'existence de Dieu est si vitale pour l'homme ? Comme l'a si bien dit un écrivain : « Si Dieu est mort, l'homme est mort lui aussi. »

Malheureusement, l'immense majorité de l'humanité n'a pas conscience de ce fait. Elle continue de l’avant comme si rien n'avait changé. Cela me rappelle l'histoire de Nietzsche concernant un dément qui, dans la clarté de midi, alluma une lanterne, se précipita au marché et cria sans discontinuer : « Je cherche Dieu ! Je cherche Dieu ! » Étant donné qu'il y avait justement là beaucoup de ceux qui ne croient pas en Dieu, il déchaîna un énorme éclat de rire. « S'est-il donc perdu ? » lui dirent-ils pour le provoquer. « Ou bien s'est-il caché ?  A-t-il peur de nous ? S'est-il embarqué ? A-t-il émigré ? » ainsi criaient-ils en riant. Puis, écrit Nietzsche, le dément se précipita au milieu d'eux et les transperça du regard.

« Où est passé Dieu ? lança-t-il, je vais vous le dire ! Nous l'avons tué — vous et moi ! Nous sommes tous ses assassins ! Mais comment avons-nous fait cela ? Comment pûmes-nous boire la mer jusqu'à la dernière goutte ? Qui nous donna l'éponge pour faire disparaître tout l'horizon ? Que fîmes-nous en détachant cette terre de son soleil ? Où l'emporte sa course désormais ? Où nous emporte notre course ? Loin de tous les soleils ? Ne nous abîmons-nous pas dans une chute permanente ? Et ce en arrière, de côté, en avant, de tous les côtés ? Est-il encore un haut et un bas ? N'errons-nous pas comme à travers un néant infini ? L'espace vide ne répand-il pas son souffle sur nous ? Ne s'est-il pas mis à faire plus froid ? La nuit ne tombe-t-elle pas continuellement, et toujours plus de nuit ? Ne faut-il pas allumer des lanternes à midi ? N'entendons-nous rien encore du bruit des fossoyeurs qui ensevelissent Dieu ? [...] Dieu est mort [...] Et nous l'avons tué ! Comment nous consolerons-nous, nous, assassins entre les assassins [5]? »

Le dément se tut alors et considéra de nouveau ses auditeurs : eux aussi se taisaient et le regardaient, déconcertés. Il jeta enfin sa lanterne à terre : elle se brisa et s'éteignit. « Je viens trop tôt, dit-il alors, ce n'est pas encore mon heure. Ce formidable événement est toujours en cours - il n'a pas encore atteint les oreilles de l'homme. » Les hommes ne comprenaient pas encore vraiment les conséquences de ce qu'ils avaient fait en tuant Dieu. Mais Nietzsche a prédit qu'un jour les hommes prendraient conscience des implications de leur athéisme ; et cela introduirait une époque de nihilisme – la destruction de tout le sens et de toute la valeur de la vie.

La grande majorité des personnes ne se préoccupent toujours pas des conséquences de l'athéisme et poursuivent donc leur route dans l'ignorance, telle la foule à la place du marché. Mais quand, à l'instar de Nietzsche, nous comprenons ce que l'athéisme implique, une question nous taraudera alors : Comment nous consolerons-nous, nous, assassins entre les assassins ?

L'impossibilité pratique de l'athéisme

La seule solution que l'athéisme puisse offrir face à l'absurdité de la vie est d’y faire face courageusement. Bertrand Russell, par exemple, écrivait qu'il nous faut construire notre existence sur « le fondement solide d'un inflexible désespoir [6]». Ce ne serait qu'en reconnaissant que le monde est vraiment un endroit terrible que nous pourrions nous accommoder au mieux à la vie. Albert Camus estimait qu'il fallait en reconnaître le caractère absurde en toute honnêteté puis nous engager dans une relation placée sous le signe de l'amour des uns pour les autres.

L'obstacle majeur à ce type de solution réside dans l'impossibilité de mener une vie cohérente et heureuse sur la base d’une telle conception du monde. Si nous voulons vivre notre vie d'une manière cohérente, nous ne serons pas heureux ; si, à l'inverse, nous voulons vivre une vie heureuse, nous le devrions à notre incohérence. Francis Schaeffer a très bien su exprimer cela. Selon lui, l'homme moderne habite un univers à deux niveaux. Au niveau inférieur, se trouve le monde de la finitude où Dieu n'est pas ; la vie y est absurde, comme nous l'avons vu. Le niveau supérieur renferme le sens, les valeurs, la finalité. Comme l'homme moderne nie l'existence de Dieu, il réside au niveau inférieur. Mais il ne parvient pas à être heureux dans un monde marqué par l'absurdité ; d'où de continuels sauts de foi vers le niveau supérieur afin d'obtenir du sens, des valeurs et une finalité, même si rien ne l'y autorise puisqu'il ne croit pas en Dieu.

Examinons donc à nouveau chacun des trois domaines dans lesquels, comme nous l’avons déjà observé, se manifeste l'absurdité de la vie sans Dieu. Ainsi nous démontrerons comment l'athéisme rend impossible pour l'homme le fait de mener une vie cohérente et heureuse.

Le sens de la vie

Tout d'abord, au niveau du sens. Nous avons vu que la vie sans Dieu n'en a aucun. Néanmoins, les philosophes continuent de vivre comme si la vie avait un sens. Sartre, par exemple, soutient que l'on peut créer un sens à sa vie à travers le libre choix de suivre une certaine ligne de conduite. Ce choix, en ce qui concerne Sartre, s'était porté sur le marxisme.

Mais cela est totalement incohérent. On ne peut soutenir à la fois que la vie est objectivement absurde mais que rien n'empêche de se créer un sens pour sa propre vie. Si la vie est réellement absurde, l'homme se retrouve piégé au niveau inférieur. Toute tentative pour créer du sens à la vie représente un saut vers le niveau supérieur. Mais Sartre ne disposait d'aucun motif lui permettant de légitimer ce saut. Sans Dieu, la vie est dénuée de toute signification objective. Le projet de Sartre consiste en fait à se jouer à soi-même la comédie. En réalité, cela équivaut pour Sartre à faire semblant que l'univers ait un sens. C’est-à-dire à nous tromper nous-mêmes de manière volontaire.

Donc, en résumé, si Dieu n'existe pas, alors la vie est objectivement dénuée de sens ; mais l'être humain, qui a conscience de l’absurdité de la vie, ne peut pas vivre une vie à la fois cohérente et heureuse. Donc pour être heureux, il prétend que la vie a un sens tout en sachant que ce n'est pas vrai. Cela aboutit, bien entendu, à une totale incohérence car sans Dieu, l'homme et l'univers ne disposent, à l'évidence, d'aucune véritable raison d'être.

Les valeurs de la vie

Venons-en maintenant à la question des valeurs. C'est en ce domaine que les incohérences les plus flagrantes se produisent. Tout d’abord, les humanistes athées font preuve d'une parfaite incohérence dans l’affirmation des valeurs traditionnelles telles que l'amour et la fraternité. Camus a été critiqué à juste titre pour son incohérence à vouloir maintenir à la fois l'absurdité de la vie et à la fois l'éthique de l'amour et de la fraternité. Ce sont là deux logiques incompatibles. Il en est de même en ce qui concerne Bertrand Russell. En effet, son athéisme s'accompagnait d'une critique ouverte de la société, en particulier à propos de la guerre et des restrictions imposées à la sexualité. Russell concédait ne pouvoir vivre comme si les valeurs éthiques n'étaient qu'une affaire de préférence personnelle, ce qui l'amenait à admettre que ses propres thèses étaient « incroyables ». Il admettait d'ailleurs « ne pas connaître la solution [7]». Le fait est que si Dieu n'existe pas, les notions objectives du bien et du mal n’existe pas également. Pour le dire dans les termes de Dostoïevski : « Tout est permis. »

Cependant, Dostoïevski a également montré que l'homme ne peut vivre ainsi. Il ne peut pas vivre comme s'il était parfaitement normal que des soldats massacrent des enfants innocents. Il ne peut pas vivre comme s'il était normal que des dictateurs, comme Pol Pot, se donnent le droit d'exterminer des millions de ses propres compatriotes. Car tout en l'homme s'insurge contre ces actes et crie à l'immoralité ; au caractère réellement immoral de ces actes. Mais si Dieu n'existe pas, il est privé de toute raison qui justifieraient sa montée aux créneaux. Donc, il opère un saut de foi pour pouvoir revendiquer malgré tout l'existence de valeurs. Ce faisant, il révèle, du même coup, l'inadéquation d'un monde sans Dieu.

L'horreur d'un monde dénué de valeurs s'est imposée à moi avec une nouvelle intensité, voici quelques années, par le biais d'un documentaire télévisé de la BBC intitulé The Gathering (Le rassemblement). Ce dernier relatait que des survivants de l'Holocauste s'étaient réunis à Jérusalem afin de se retrouver avec des amis perdus de vue. Durant ces retrouvailles, ils partageaient leurs horribles expériences passées. Une prisonnière, infirmière, racontait comment elle avait été désignée gynécologue à Auschwitz. Elle avait remarqué que les femmes enceintes étaient regroupées par les soldats sous la direction du Dr Josef Mengele et qu'elles étaient installées au sein du même baraquement. Après quelque temps, elle ne vit plus aucune de ces femmes. Elle se renseigna pour savoir ce qu'elles étaient devenues. « Où sont les femmes enceintes qui logeaient dans ce baraquement ? » On lui répondit : « Vous n'êtes pas au courant ? Le Dr Mengele les a utilisées pour la vivisection. »

Une autre femme raconta comment Mengele avait solidement pansé sa poitrine afin de l’empêcher d’allaiter son enfant. Le médecin voulait déterminer combien de temps un nourrisson pouvait survivre sans être nourri. Cette pauvre femme avait essayé désespérément de maintenir en vie son bébé en lui donnant des morceaux de pain trempés dans le café, mais ce fut en vain. Chaque jour, le bébé perdait du poids, sous la surveillance minutieuse et intéressée du Dr Mengele. Une infirmière vint alors secrètement voir cette femme pour lui dire : « J’ai préparé pour vous un moyen de sortir d’ici, mais vous ne pouvez pas prendre votre bébé avec vous. J’ai apporté une injection de morphine que vous pouvez administrer à votre enfant pour mettre fin à ses jours. » Alors que la mère s'indigna contre cette proposition, l'infirmière insista en lui disant : « Écoutez, votre bébé va de toute façon mourir. Au moins sauvez-vous vous-même. » Et cette mère a ainsi mis fin à la vie de son propre bébé. Le Dr Mengele fut furieux d’apprendre la nouvelle parce qu’il venait de perdre son spécimen dédié à ses expériences, et il rechercha parmi les morts le cadavre du bébé dont on s’était débarrassé, afin de réaliser une dernière mesure de son poids.

J'eus le cœur déchiré par ces récits. Un rabbin survivant des camps a bien résumé cela en disant qu'Auschwitz était l'image d'un monde où les Dix Commandements avaient été inversés. Jamais l'humanité ne s'était encore rendue témoin d'un tel enfer.

Et pourtant, si Dieu n'existe pas, alors, dans un certain sens, notre monde est Auschwitz : il n'y a plus ni bien ni mal, et tout est permis. Cependant, aucun incroyant, aucun agnostique, ne peut vivre de manière cohérente avec une telle conception du monde et de la vie. Nietzsche lui-même, qui proclamait la nécessité de vivre « par-delà le bien et le mal » se désolidarisait de son mentor Richard Wagner, précisément sur les questions de l'antisémitisme et de son nationalisme allemand exacerbé. Il en était de même de Sartre qui, dans le monde ravagé d'après la Seconde Guerre mondiale, condamnait l'antisémitisme en déclarant qu'une doctrine qui mène à l'extermination ne pourrait être une simple affaire de préférence ou d'inclination personnelle, comme pourrait l’être une doctrine opposée prônant le bien [8]. Dans son essai majeur  « L'existentialisme est un humanisme », Sartre, s'efforce en vain d'éluder la contradiction entre son refus des valeurs divines préétablies et son intense désir d'affirmer des valeurs intrinsèque aux êtres humains. Il ne pouvait, pas plus que Russell, vivre avec les implications portées par son propre refus d'une éthique enracinée dans des absolus.

Le deuxième problème pour l’athéisme est que si Dieu n’existe pas et s’il n’y a pas d'immortalité, alors toutes les infamies des hommes restent impunies, et les sacrifices des hommes de bien restent sans récompenses. Qui peut vivre et supporter une telle vision du monde ? Richard Wurmbrand, qui a subi la torture dans les prisons communistes à cause de sa foi, disait ceci :

« Inimaginable est la cruauté de l'athéisme. Quand un homme ne croit pas que les bons seront récompensés et les méchants punis, il n'y a pas de raison qu’il reste humain ; il n'y a pas de limites en lui pour le sombre empire du mal. Nous avons souvent entendu de ces bourreaux communistes affirmer : “Il n'y a pas de Dieu, ni, par conséquent, de punition pour le mal.  Nous pouvons faire tout ce que nous voulons.” J’en ai même entendu un crier : “Ton Dieu en qui je ne crois pas, je le remercie de m’avoir laissé vivre jusqu'à cette heure où je peux exprimer tout le mal que j’ai dans le cœur.”  Et cela tandis qu'il infligeait à des prisonniers des tortures d'une incroyable férocité [9]. »

Il en irait de même pour les actes d’abnégation. Il y a quelques années, un terrible ouragan survint en plein hiver au cours duquel un avion qui venait de décoller de l'aéroport de Washington D.C. s'écrasa contre un pont dominant le fleuve du Potomac, plongeant ses passagers dans des eaux glacées. Quand les hélicoptères de secours intervinrent, l'attention fut attirée par un homme qui renvoyait sans cesse l'échelle de sauvetage vers d'autres passagers au lieu de se mettre lui-même en sécurité. Cela se renouvela six fois. Au retour des hélicoptères, il avait disparu. Il avait volontairement donné sa vie pour les autres. La nation tout entière tourna son regard vers cet homme dans un sentiment d’admiration et de respect pour l’acte généreux et désintéressé qu’il avait accompli. Pourtant, si l'athée a raison, l'acte de cet homme n’était empreint d’aucune noblesse ; bien au contraire, il fît la chose la plus stupide qui soit. Il aurait dû se saisir de la corde le premier, et écarter les autres, si nécessaire, pour pouvoir survivre. Pour quelle raison vouloir donner sa vie pour des inconnus et ainsi renoncer à la seule brève existence que l'on peut connaître ? Aux yeux d'un athée, aucune raison ne peut justifier un tel comportement. Cela ne l'empêchera pas cependant de louer, comme nous, l’acte sacrificiel et désintéressé de cet homme. En réalité, vous ne trouverez sans doute aucun athée vivant de manière cohérente avec son système idéologique athée. Car un univers dénué de valeurs où la notion de responsabilité morale n'a pas cours revêt un caractère trop épouvantable pour ne pas faire capoter l'imagination elle-même.

Le but de la vie

Enfin, examinons le problème du but de la vie. La seule solution qui permette à la plupart des personnes, qui nient l’existence d’une d’une finalité de la vie, de vivre heureux consiste soit à se créer un semblant de but – ce qui équivaut soit à s’auto-illusionner comme nous l’avons vu avec Sartre – soit alors à ne pas pousser leur point de vue jusqu'à ses conclusions logiques. Prenons, par exemple, le problème de la mort. Selon Ernst Bloch, la seule manière pour l'homme moderne de faire face à l'existence de la mort est d'emprunter, de façon subconsciente, la croyance dans l’immortalité à laquelle adhéraient ses pères, alors que lui-même ne possède aucun fondement pour soutenir une telle croyance, puisqu'il ne croit pas en Dieu. En empruntant les reliquats d’une croyance dans l’immortalité, écrit Bloch, « l’homme moderne ne ressent pas le gouffre qui l’environne continuellement et le submergera certainement, en dernier ressort. À travers ces reliquats, il sauvegarde un sentiment de sens à son identité. Grâce à eux, est créée l’impression que l’homme n’est pas en train de périr, mais seulement qu’un jour le monde aura le caprice de ne plus lui apparaître. » Puis il conclut : « Ce courage bien superficiel et creux festoie en toute gaieté
grâce à une carte de crédit empruntée. Il vit d’espoirs antérieurs et du soutien qu’ils offraient autrefois [10]. » L’homme moderne n’a plus droit à un tel soutien, de par son rejet de Dieu. Mais, afin de pouvoir mener une vie ayant un but déterminé, il fait un saut de foi en vue d’affirmer une raison d’être à sa vie.

Nous retrouvons souvent la même incohérence chez ceux qui professent que l'homme et l'univers sont venus à exister sans raison ni but, mais juste par hasard. Incapables de vivre dans un univers impersonnel dans lequel tout est le produit du hasard aveugle, ces athées se mettent parfois à assigner une personnalité et des motivations aux processus eux-mêmes. Il s’agit ici d’une bien étrange manière de parler d’un saut du niveau inférieur vers le niveau supérieur, et de se le représenter. Par exemple, Francis Crick en plein milieu de son livre The Origin of the Genetic Code, commence à écrire nature avec un « N » majuscule, et qualifie aussi la sélection naturelle d’« intelligente », lui dotant de la capacité de « penser » ce qu’elle fera. De son côté, Sir Fred Hoyle, l’astronome anglais, attribue à l’univers lui-même les qualités divines. Pour Carl Sagan, le « Cosmos », qu’il écrit toujours avec un C majuscule, occupe à l’évidence le rôle de substitut de Dieu. Bien que ces hommes professent leur athéisme, ils introduisent discrètement, par la porte de derrière, un substitut à Dieu, parce qu’ils ne peuvent supporter la vie dans un univers où tout résulte du jeu fortuit de forces impersonnelles.

Il est intéressant de voir que de nombreux penseurs trahissent leurs opinions lorsqu'ils sont poussés à leurs conclusions logiques. Par exemple, certaines féministes ont soulevé une tempête de protestations envers la psychologie sexuelle freudienne parce qu'elle est chauviniste et dégradante pour les femmes. Ainsi certains psychologues ont fait marche arrière et ont révisé leurs théories. Mais c'est totalement incohérent. Si la psychologie freudienne est réellement vraie, alors le fait qu'elle soit dégradante ou non pour les femmes ne devrait pas être prise en compte. Vous ne pouvez pas changer la vérité sous prétexte que vous n'aimez pas l'endroit où elle vous mène. Mais personne ne peut vivre de manière cohérente et heureuse dans un monde où certaines personnes sont dévalorisées de part leur nature. Pourtant, si Dieu n'existe pas, nous pouvons dire que personne n'a de valeur intrinsèque. Ce n'est que si Dieu existe qu'une personne peut légitimement soutenir les droits des femmes. Car si Dieu n'existe pas, alors la sélection naturelle nous dicte que le mâle de l'espèce doit être dominant et agressif. Les femmes n'auraient pas plus de droits qu'une chèvre ou une poule n'ont de droits. Dans la nature, tout ce qui est, est juste. Qui peut vivre et supporter une telle vision du monde ? Apparemment pas même les psychologues freudiens, qui trahissent leurs théories lorsqu'ils sont poussés à leurs conclusions logiques.

Nous pouvons aussi regarder vers le béhaviorisme (NDT : paradigme psychologique considérant que le comportement peut être prévu en fonction des stimulus de l’environnement extérieur) soutenu par un homme comme B. F. Skinner. Ce point de vue conduit au type de société envisagé par George Orwell en 1984, où le gouvernement contrôle et programme les pensées de chacun. Si les théories de Skinner sont exactes, alors il n'y a aucune raison de traiter les personnes d'une autre manière que l'on traite les rats dans les boîtes de Skinner. Durant leurs parcours au milieu des labyrinthes, on détermine le comportement des rats à travers l’appât de la nourriture et la crainte des décharges électriques. Selon Skinner, toutes nos actions sont déterminées de toute façon. Si Dieu n'existe pas, aucune objection morale ne peut être soulevée contre ce genre de programmation, car l'homme n'est pas qualitativement différent d'un rat, puisque les deux ne sont que de la matière additionnée au temps additionné au hasard. Mais encore une fois, qui peut vivre avec une conception aussi déshumanisante ?

Enfin, regardons vers le déterminisme biologique (NDT : théorie scientifique présentant la génétique humaine comme étant la base des phénomènes psycologiques/sociaux humains) soutenu par un homme comme Francis Crick. La conclusion logique est que l'homme est comme tout autre spécimen de laboratoire. Le monde a été horrifié d'apprendre que dans des camps comme celui de Dachau, les nazis avaient utilisé des prisonniers pour effectuer des expériences médicales sur des êtres humains vivants. Mais pourquoi pas ? Si Dieu n'existe pas, il ne peut y avoir aucune objection au fait d'utiliser les personnes en tant que cobayes humains. La finalité de ce point de vue est le contrôle de la population à travers la suppression des faibles et les indésirables (de part leur biologie) afin de laisser place aux forts. La seule façon de protester avec cohérence contre ce point de vue est l’existence de Dieu. Ce n'est que si Dieu existe que la vie peut avoir un but.

Le dilemme de l'homme moderne est donc vraiment terrible. Dans la mesure où il nie l'existence de Dieu et l'objectivité de valeur et de but, ce dilemme est également présent  pour l'homme « post-moderne ». En effet, c'est précisément la conscience du fait que le modernisme débouche inévitablement sur l'absurdité et le désespoir qui explique l'angoisse du post-modernisme. D’une certaine manière, le post-modernisme n'est que le modernisme auquel on ajoute la conscience de sa propre faillite. L’athéisme est une vision du monde incapable de proposer une manière de vivre une vie heureuse et cohérente. L'homme ne peut pas vivre de manière cohérente et heureuse si la vie n'a finalement aucun sens, aucune valeur et aucun but. Si nous essayons de vivre de manière cohérente dans une conception athée du monde, nous nous trouverons profondément malheureux. Si, au contraire, nous parvenons à vivre heureux dans une perspective athée, cela serait uniquement du fait de ne pas regarder en face les conséquences de cette perspective.

Face à ce dilemme, l'homme se débat pathétiquement pour trouver une échappatoire. Dans un discours remarquable prononcé en 1991 devant l'American Academy for the Advancement of Science, le Dr L. D. Rue, face à la situation difficile de l'homme moderne, confronté à la condition de l’homme, a audacieusement soutenu que nous nous trompons nous-mêmes au moyen d’un « Noble Mensonge », en pensant que nous et l’univers avons encore une quelconque valeur [11]. Affirmant que « la leçon des deux siècles passés est que le relativisme intellectuel et moral est une réalité profonde », le Dr Rue spécule que la conséquence de la prise de conscience de cette réalité est que la quête de l’homme d’une plénitude intégrale (ou d’un épanouissement personnel) et la quête de la cohérence sociale deviennent indépendantes l’une de l’autre. En effet, dans la perspective du relativisme, la recherche de l’épanouissement personnel devient une entreprise radicalement privée : chacun choisit son propre code de valeurs et de sens. Si nous voulons éviter « l’option de la folie » dans laquelle l’épanouissement personnel est poursuivi sans aucun égard envers la cohérence sociale, et « l’option totalitaire » dans laquelle la cohérence sociale est imposée aux dépens de l’épanouissement personnel, alors nous n’avons d’autre choix que d’embrasser un Noble Mensonge qui nous inspirera à vivre au-delà des intérêts égoïstes et à atteindre ainsi la cohérence sociale. Un Noble Mensonge est « un mensonge qui nous séduit, nous trompe, nous entraîne au-delà des intérêts personnels, au-delà de l’ego, au-delà de la famille, de la nation, [et] de la race. » C’est un mensonge, parce qu’il nous dit que l’univers est empreint de valeurs (ce qui est une grande fiction), parce qu’il revendique une vérité universelle (alors qu’il n’y en a aucune), et parce qu’il nous dit de ne pas vivre pour nos propres intérêts (ce qui est faux à l’évidence). « Mais sans de tels mensonges, nous ne pouvons pas vivre. »

Tel est le terrible verdict prononcé sur l'homme moderne. Pour survivre, il doit vivre en se mentant à lui-même. Cependant, même l’option du « Noble Mensonge » est, en réalité, impraticable. Pour être heureux, l’on doit croire à l’existence de sens, de valeurs et de buts objectifs. Mais comment est-il possible de croire à ces nobles mensonges tout en croyant à l’athéisme et au relativisme ? Plus l’on est convaincu de la nécessité d’un noble mensonge, moins l’on est capable d’y croire. Comme un placebo, un noble mensonge ne fonctionne que pour ceux qui croient qu’il est la vérité. Dès que l’on en a identifié le côté fictif, le mensonge en question perd son pouvoir sur nous. Donc le « Noble Mensonge » ne peut résoudre le problème de la condition humaine pour ceux qui ont conscience de la situation dans laquelle ils se trouvent.

L’option que représente le Noble Mensonge pourrait donc, dans le meilleur des cas, être perpétué par une société secrète (par exemple un groupe élitiste d’Illuminati) dans le but de tromper les masses pour leur propre bien. Mais même dans cette situation, pourquoi ceux d’entre nous qui ont été éclairés suivent-ils encore les masses sur la voix de cette tromperie ? Pourquoi devrions-nous sacrifier nos propres intérêts en échange d’une fiction ? Si la grande leçon des deux siècles passés est le relativisme moral et intellectuel, alors pourquoi feindre que nous ne connaissons pas cette vérité pour continuer à vivre dans le mensonge ? Si l’on répond : « au nom de la cohérence sociale », on peut légitimement demander pourquoi l’on devrait sacrifier ses propres intérêts au nom de la cohérence sociale. La seule réponse qu’un adepte du relativisme puisse donner est que la cohérence sociale se trouve dans mon intérêt personnel ; mais le problème avec cette réponse est que l’intérêt personnel et l’intérêt du groupe ne coïncident pas toujours. Par ailleurs, si (motivé par mes intérêts personnels) je ne me préoccupe pas de la cohérence sociale, l’option totalitaire reste toujours ouverte : oubliez le Noble Mensonge et maintenez la cohérence sociale (ainsi que mon épanouissement personnel) aux dépens de l’équilibre et du bien-être personnels des masses. Dr Rue considérerait sans aucun doute une telle option comme répugnante. Mais c’est là que le bât blesse. Le dilemme de Rue est qu’il a une haute estime, à l’évidence, à la fois pour la cohérence sociale et le bien-être personnel en tant que tels. En d’autres termes, il existe des valeurs objectives qui, selon sa propre philosophie, ne devraient pas exister. Ce faisant, il a déjà accompli le grand saut vers le niveau supérieur. Ainsi, l’option du Noble Mensonge affirme donc ce qu’il nie, et se réfute donc elle-même.

Le succès du christianisme biblique

Mais si l’athéisme échoue à ce niveau, qu’en est-il du christianisme biblique ? D’après la vision chrétienne du monde, Dieu existe et la vie humaine ne s'arrête pas à la mort. Dans son corps ressuscité, l’homme jouira de la vie éternelle et de la communion avec Dieu. Le christianisme biblique offre ainsi les deux conditions nécessaires à une vie humaine pleine de sens, de valeurs et ayant un but : Dieu et l’immortalité. Pour cette raison, nous pouvons vivre de façon cohérente et heureuse. Par conséquent, le christianisme biblique réussit précisément là où l’athéisme échoue.

Conclusion

Je veux, à ce stade, mettre en avant le fait que je n’ai pas démontré que le christianisme biblique est vrai. Mais ce que j’ai fait, c’est avoir mis en évidence les perspectives alternatives à l'existence de Dieu et de l'immortalité. Si Dieu n’existe pas, alors la vie est futile. Si le Dieu de la Bible existe, alors la vie a un sens. Seule la seconde option nous permettrait de mener une vie à la fois heureuse et cohérente. Il me semble donc que même si les preuves concernant ces deux options étaient absolument égales, une personne rationnelle devrait choisir le christianisme biblique. Il me semble tout à fait irrationnel de préférer la mort, la futilité et la destruction à la vie, au sens et au bonheur. Comme Pascal l’a dit, nous n’avons rien à perdre et l’infini à gagner.

 

[1] Kai Nielsen, "Why Should I Be Moral?" American Philosophical Quarterly 21 (1984): 90.

[2] Richard Taylor, Ethics, Faith, and Reason (Englewood Cliffs, NJ: Prentice Hall, 1985), 90, 84.

[3] H.G. Wells, The Time Machine (New York: Berkeley, 1957), chap. 11.

[4] W.E. Hocking, Types of Philosophy (New York: Scribner's, 1959), 27.

[5] Friedrich Nietzsche, "The Gay Science," in The Portable Nietzsche, ed. and trans. W. Kaufmann (New York: Viking, 1954), 95.

[6] Bertrand Russell, "A Free Man's Worship," in Why I Am Not a Christian, ed. P. Edwards (New York: Simon & Schuster, 1957), 107.

[7] Bertrand Russell, Letter to the Observer, 6 October, 1957.

[8] Jean Paul Sartre, "Portrait of the Antisemite," in Existentialism from Dostoyevsky to Satre, rev. ed., ed. Walter Kaufmann (New York: New Meridian Library, 1975), p. 330.

[9] Richard Wurmbrand, Tortured for Christ (London: Hodder & Stoughton, 1967), 34.

[10] Ernst Bloch, Das Prinzip Hoffnung, 2d ed., 2 vols. (Frankfurt am Main: Suhrkamp Verlag, 1959), 2:360-1.

[11] Loyal D. Rue, "The Saving Grace of Noble Lies," address to the American Academy for the Advancement of Science, February, 1991.