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#9 Prémisse causale de l'argument du kalam

March 18, 2020
Q

Vous présentez l'argument cosmologique comme suit

(1) Tout ce qui commence à exister doit avoir une cause.

(2) L'univers a commencé à exister.

(3) Donc l'univers a une cause.

C'est la première prémisse qui me perturbe. Le cadre demandé pour (1) semble saper la création ex nihilo .  Lorsqu'on vous pousse à défendre (1), vous répondez des choses comme « l'être ne peut pas venir du non-être », « quelque chose ne peut pas venir de rien », etc.  Donc (1) est vrai parce que (A) il n'est pas possible que quelque chose vienne de rien.  Vous dites que (A) est évident et vous l'appelez « un premier principe de la métaphysique ».  Quel est le sens du terme "possibilité" ici ?  Il ne peut s'agir d'une possibilité physique, car il est clair que les lois naturelles ne s'appliqueront pas à l'événement de création.  Pour autant que je puisse en juger, cela doit signifier quelque chose comme une possibilité logique. Mais s'il est logiquement impossible que quelque chose vienne de rien, alors il n'est pas possible pour Dieu de faire venir quelque chose de rien.  Car Dieu ne peut évidemment pas violer les lois logiques, n'est-ce pas ?

Il semble que ce que vous voulez vraiment dire est quelque chose comme (B) il n'est pas possible que quelque chose vienne de rien - psst, sans cause.  Mais B n'est pas du tout aussi évident et intuitif que A. Ce n'est pas le quelque chose qui vient de rien sans cause qui nous laisse perplexe ; c'est simplement le quelque chose qui vient de rien.

En témoigne votre propre perplexité face à la doctrine ex nihilo.   Quand je vous écoute plaider sur ce point, l'argument me semble devenir abductif.  Vous dites quelque chose comme "Je ne sais pas comment Dieu a pu créer l'univers à partir de rien, je sais seulement qu'il est doublement absurde de dire que c'est arrivé sans cause".  Mais il n'y a pas de double absurdité, il y a simplement de l'absurdité - et les deux explications sont absurdes.  Ce qu'il faut, c'est que Dieu soit une meilleure explication qu'un événement sans cause (si c'est bien la seule autre option).  Je ne sais pas exactement ce qui constitue les conditions nécessaires et suffisantes pour une bonne explication, mais je pense que cela a quelque chose à voir avec l'élimination de la confusion.  Autrement dit, une bonne explication devrait nous laisser moins perplexes face à ce phénomène.  Mais si il est déconcertant au point d'être absurde que quelque chose se mette à exister à partir de rien, est-il vraiment moins absurde que quelqu'un se trouve juste devant pour dire "qu'il soit...".

Je ne sais pas.

De plus, il s'agit d'un type de causalité radicalement différent.  Je suppose que, quelle que soit la notion de causalité, il doit s'agir de quelque chose comme une causalité efficiente.  Lorsque nous observons une causalité efficiente, nous observons quelque chose agissant sur une autre chose pour produire un résultat.  Je pense que je peux comprendre ce que cela signifie, par exemple, une personne agissant sur un bloc de pierre pour produire une statue.  Je pense que c'est une notion de causalité parfaitement intelligible. Mais comment une personne pourrait-elle agir sur rien de manière à produire un effet.  La causalité efficiente en tant que création ou «réalisation» est une action sur une chose.  Donc, quelle que soit la causalité que vous avez à l'esprit ici, elle est radicalement différente de tout ce que nous comprenons habituellement par ce terme.  Et moins je comprends cette notion de causalité, moins je suis enclin à considérer l'hypothèse de Dieu comme la meilleure explication.

William

États-Unis

United States

Dr. Craig

Dr. craig’s response


A

Avant d'aborder votre question complexe, William, permettez-moi d'abord de passer en revue trois raisons que j'ai données en faveur de la première prémisse de l'argument cosmologique du kalam.  Premièrement et avant tout, la prémisse causale est ancrée dans l'intuition métaphysique que quelque chose ne peut pas venir de rien.  Suggérer que les choses pourraient surgir sans cause à partir de rien, c'est cesser de faire de la métaphysique sérieuse et cela revient à recourir à la magie.  Deuxièmement, si les choses pouvaient vraiment surgir sans cause à partir de rien, il devient alors inexplicable que tout et n'importe quoi ne surgissent pas sans cause à partir de rien.  Enfin, la première prémisse est constamment confirmée par notre expérience, qui fournit aux athées qui sont des naturalistes scientifiques les meilleures raisons de l'accepter.

Ma première raison correspond à votre

(A) Il n'est pas possible que quelque chose vienne de rien.

Je pense que le principe ex nihilo nihil fit (rien ne vient de rien) est un des principes les plus évidents en philosophie et je pense qu'aucune personne rationnelle n'en doute sincèrement. Mais ce principe ne contredit aucunement la doctrine de la creatio ex nihilo (création à partir de rien), comme l'ont compris les penseurs médiévaux qui ont épousé les deux.  Car ce n'est que dans le cas de la création qu'il y a une cause qui fait surgir l'objet concerné.

Votre première question est : « Quel est le sens du terme "possibilité" ici ? ».  La réponse est « possibilité métaphysique ».  Il s'agit d'une modalité entre la possibilité physique et la possibilité logique stricte et qui est souvent appelée « possibilité logique étendue » par les philosophes contemporains.  Pour illustrer cela, il est strictement possible logiquement que "Le Premier ministre soit un nombre premier" (il n'y a pas de contradiction logique ici) ; mais, malgré cela, une telle chose est métaphysiquement impossible (incapacité d'actualisation).  Il existe toutes sortes de vérités - comme "Tout ce qui a une forme a une taille", "Rien ne peut être rouge partout et vert partout", "Aucun événement ne se précède lui-même", etc. - qui ne sont pas strictement nécessaires sur le plan logique mais qui sont, je pense, nécessaires sur le plan métaphysique.  Je pense que la première prémisse de l'argument du kalam est une vérité métaphysiquement nécessaire.

En ce qui concerne votre

(B) il n'est pas possible que quelque chose vienne de rien sans cause,

Je trouve que c'est logiquement équivalent à (A).  Ils sont étroitement liés.  Imaginons que quelqu'un propose de réfuter (A) en disant : "Quelque chose peut venir de rien si il y a une cause !  Le partisan de (A) penserait à juste titre que l'autre personne ne l'a pas compris.  Si quelque chose a une cause, alors elle ne vient pas de rien.  Venir de rien, c'est renoncer à toutes conditions causales, un point c'est tout.  Considérons les choses de la manière suivante : si quelque chose vient sans cause et de rien, alors il est évident que ce quelque chose vient de rien (B→A).  Et si quelque chose vient de rien, alors ce quelque chose vient sans cause et de rien (A → B).  Donc (A) et (B) sont logiquement équivalents.  Ainsi, (A) ou (B) peuvent être utilisés pour appuyer la prémisse (1).

Il est vrai que deux énoncés logiquement équivalents peuvent être plus ou moins intuitif.  J'exploite cela dans mon énoncé de la première prémisse de l'argument moral.  Il est logiquement équivalent de dire "Si Dieu n'existe pas, les valeurs morales objectives n'existent pas" ou "Si les valeurs morales objectives existent, alors Dieu existe", mais le premier est plus évident intuitivement.  Il est donc peut-être plus judicieux sur le plan dialectique d'utiliser la formulation la plus intuitive.

Alors, la doctrine de la creatio ex nihilo est-elle absurde ?  Non, car cela ne contredit pas (A).  L'univers a une cause créatrice.  En revanche, l'athée qui, comme mon ami Quentin Smith, affirme que l'univers est apparu sans aucune condition causale, contredit (A).

Nous pouvons clarifier la question en évoquant la distinction faite par Aristote entre une cause efficiente et une cause matérielle.  Une cause efficiente est quelque chose qui produit son effet dans l'être ; une cause matérielle est la chose à partir de laquelle quelque chose est obtenu.  Michel-Ange est la cause efficiente de la statue de David, tandis que le morceau de marbre est sa cause matérielle.

Si quelque chose surgissait de rien, il n'y aurait aucune condition causale quelle qu'elle soit, efficiente ou matérielle.  Si Dieu crée quelque chose ex nihilo, alors il ne manque qu'une cause matérielle.   C'est certes difficile à concevoir, mais si le fait de venir à l'existence sans cause matérielle est absurde, alors le fait de venir à l'existence sans cause matérielle et sans cause efficiente est, comme je l'ai dit, doublement absurde, c'est-à-dire deux fois plus difficile à concevoir.  Il n'est donc pas permis au non-théiste face au commencement de l'univers de dire que si la creatio ex nihilo est impossible, une origine spontanée ex nihilo l'est.

Si je peux me permettre de parler à votre place, il me semble que ce que vous soutenez réellement est la chose suivante : La justification que j'offre à l'appui de la prémisse (1), à savoir (A), soutient en fait une prémisse plus forte, à savoir :

1´.  Tout ce qui commence à exister doit avoir une cause à la fois efficiente et matérielle.

Mais alors l'argument du kalam ressemblerait à ceci :

1´.  Tout ce qui commence à exister doit avoir une cause à la fois efficiente et matérielle.

2. L'univers a commencé à exister.

3. Donc l'univers a une cause à la fois efficiente et matérielle.

Non seulement (3) est incompatible avec la creatio ex nihilo, comme vous le soulignez, mais pire encore, c'est incohérent.  Car l'univers est ici défini comme l'ensemble de la réalité matérielle.  L'ensemble de la réalité matérielle ne peut pas avoir de cause matérielle préalable car si elle en avait une, alors elle n'a jamais vraiment commencé à exister !  Donc, la personne qui accepte (1´) ne peut pas accepter (2).  Au final, vous acceptez évidemment (A), puisque, comme vous le dites, les choses ne peuvent pas « venir à l'existence à partir de rien », et par conséquent vous acceptez également (1´).   Donc, la prémisse que vous rejetez réellement est (2).  La matière et l'énergie, ou l'univers, doivent être éternelles.

Ce que je veux remettre en cause, c'est votre justification concernant le fait que la prémisse (1´) serait plus pertinente.   Pourquoi penser qu'une causalité efficiente sans causalité matérielle est impossible ?  Nous avons vu que (A) ne justifie pas, en réalité, (1').  Ce que (A) justifie, c'est qu'il doit y avoir un type de cause pour la chose qui commence, mais il n'y a aucune raison de penser qu'il doit s'agir d'une cause matérielle.  Dans votre dernier paragraphe, vous faites appel à notre expérience habituelle de voir des causes efficientes agissant en tandem avec des causes matérielles pour justifier (1').  Mais pourquoi penser que cette cohabitation commune doit toujours être le cas ?

Peut-être serait-il utile ici de songer à des cas où nous pourrions avoir une causalité efficiente sans causalité matérielle.  J'ai beaucoup travaillé sur le sujet des objets abstraits comme les nombres, les ensembles, les propositions, etc.  De nombreux philosophes pensent que ces objets immatériels existent nécessairement et de toute éternité.  Mais il existe de nombreux objets abstraits qui semblent exister de façon contingente et non éternelle, par exemple, l'équateur, le centre de masse du système solaire, la cinquième symphonie de Beethoven, Anna Karénine de Léon Tolstoï, etc.  Aucun d'entre eux n'est un objet physique.  Le roman de Tolstoï, par exemple, n'est similaire à aucun de ses exemplaires imprimés, car ceux-ci pourraient tous être détruits et remplacés par de nouveaux livres.  La Cinquième de Beethoven ne peut pas non plus être identifiée à une succession particulière de traits d'encre ou à une interprétation de la symphonie.  Mais tout cela a commencé à exister : l'équateur, par exemple, n'existait pas avant la terre.  Mais si ils ont commencé à exister, avaient-ils une cause ou sont-ils venus à l'existence à partir de rien ?  (Notons qu'il est logique de poser cette question même si ces entités sont immatérielles et n'ont donc pas de cause matérielle).  Beaucoup de philosophes diraient qu'ils ont bien une cause : c'est Tolstoï, par exemple, qui a créé Anna Karenina.  Donc, dans de tels cas (et ils sont nombreux), nous avons effectivement des exemples de causalité efficiente sans causalité matérielle.  Vous n'êtes peut-être pas d'accord sur le fait que de tels objets abstraits existent réellement, mais je pense que nous devons reconnaître que le point de vue défendu par nos collègues philosophes est cohérent.

Les exemples de création littéraire et musicale sont suggestifs.  Dieu aurait-il pu penser de manière analogue à la création de l'univers, tout comme Tolstoï a créé Anna Karénine?  C'est une idée provocante.

Vous dites que faire appel à Dieu comme cause de l'univers n'est peut-être pas la meilleure explication.  "Meilleure que quoi?"  Je vous le demande.  Si l'alternative est la venue spontanément à l'existence à partir de rien, je pense que nous sommes tous les deux d'accord sur le fait que c'est impossible.  Le seul recours pour l'athée est alors de nier la prémisse (2) de l'argument du kalam.  Mais si nous avons des preuves valables concernant le commencement de l'univers, comme je le pense, alors l'alternative de Dieu est toujours la meilleure.

- William Lane Craig