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#11 Quel est le prix des erreurs bibliques ?

March 18, 2020
Q

Après avoir réévalué ma foi chrétienne et l'avoir émondée pendant deux ans, je ne parviens pas à me défaire de deux conclusions apparemment opposées. La première est que les preuves de la résurrection de Jésus sont impeccables. Mais l'autre est qu'il semble y avoir des faits très embarrassants concernant la constitution des Écritures (comme des erreurs ou des auteurs prétendant écrire sous un autre nom). Pourtant, les auteurs du Nouveau Testament, y compris Jésus, semblent utiliser les Écritures d'une manière qui présume que ce sont mot pour mot la parole de Dieu.

Alors que la logique inductive est utilisée pour arriver à un argument historique fort en faveur de la résurrection de Jésus, la logique inductive pourrait également être utilisée pour arriver à un argument fort en faveur de nombreuses étrangetés des Écritures mentionnées précédemment.

Il semble que l'approche que de nombreux apologètes adoptent à ce stade est que, ayant établi l'autorité de Jésus par la résurrection, si l'argument invoqué contre l'Écriture contredit les propos de Jésus dans les Évangiles, alors l'argument de la contradiction ne doit pas avoir d'harmonisation possible pour que celui-ci tienne vraiment. Mais je ne vois pas en quoi cela est juste, puisque (1) il semble injuste d'utiliser une logique inductive pour prouver la résurrection de Jésus mais de ne pas l'utiliser ensuite pour les critiques contre la Bible et (2) un argument inductif peut être fort malgré ce que dit Jésus tel que relaté dans les Évangiles, d'autant plus que nous ne pouvons pas préjuger de la précision avec laquelle beaucoup de ces propos ont été relatés. Et (3), n'importe qui peut concevoir une harmonisation de certains versets qui serait possible mais non forcément plausible, ce que vous avez sûrement déjà pu voir de vos propres yeux à maintes reprises.

Pourtant, le fait de maintenir ces deux positions en tension tend à nuire à ma foi et me conduit finalement à un certain ressentiment contre Dieu pour avoir laissé les rédacteurs de la Bible jouer aux dés avec Ses Paroles et de ne pas avoir apporté une plus grande précision permettant d'avoir plus de certitude sur ce qui vient de Lui et ce qui ne vient pas de Lui. Toute aide que vous pourriez apporter pour soulager cette tension serait très précieuse.

Merci,

Josué

États-Unis

United States

Dr. Craig

Dr. craig’s response


A

Votre question est une de celles avec lesquelles tout chrétien croyant en la Bible et connaissant la critique biblique moderne a dû batailler.  Il y a beaucoup de choses à dire ici, alors permettez-moi d'aborder les principaux points.

Pour commencer, la doctrine de l'inerrance biblique, telle que je l'ai apprise et, je pense, telle que la plupart de ses adhérents la défendraient aujourd'hui, ne se fait pas de manière inductive, mais déductive.  Les inerrantistes admettent volontiers que personne, en lisant la Bible et en dressant la liste des difficultés rencontrées en cours de route, qu'il s'agisse d'incohérences ou d'erreurs, n'arriverait à la fin de sa lecture à la conclusion que la Bible est inerrante.  Il en conclurait probablement que la Bible, comme presque tous les autres livres, contient des erreurs.  Mais les inerrantistes soutiennent que la croyance en l'inerrance biblique est fondée par déduction d'autres vérités bien établies.  Par exemple, le regretté Kenneth Kantzer, doyen de la faculté que j'ai fréquenté, a plaidé en faveur de l'inerrance au moyen des deux syllogismes suivants :

1. Tout ce que Dieu enseigne est vrai.

2. Des preuves historiques, prophétiques et autres montrent que Jésus est Dieu.

3. Donc, tout ce que Jésus enseigne est vrai.

4. Tout ce que Jésus enseigne est vrai.

5. Jésus a enseigné que les Écritures sont la Parole inspirée et inerrante de Dieu.

6. Donc, les Écritures sont la Parole inspirée et inerrante de Dieu.

L'affirmation ici est que nous avons de bonnes raisons de penser que la Bible, malgré ses difficultés, est la Parole inerrante de Dieu et que nous devrions donc l'accepter comme telle.  Comme Friedrich Schleiermacher l'a dit un jour : "Nous ne croyons pas au Christ parce que nous croyons à la Bible ; nous croyons à la Bible parce que nous croyons au Christ".  L'un des meilleurs exemples de cette approche concernant la doctrine de l'inerrance biblique est "Christ and the Bible" de John Wenham (InterVarsity, 1972).

Face aux difficultés bibliques, l'inerrantiste tentera de montrer que les prétendues erreurs ne sont finalement pas vraiment des erreurs puis de proposer des harmonisations plausibles concernant les incohérences apparentes.  Lorsque cela ne peut être fait, il admettra honnêtement qu'il ne connaît pas la solution à la difficulté, mais il insistera néanmoins sur le fait qu'il a des raisons déterminantes de penser que le texte est exact et que si tous les faits étaient connus, la prétendue difficulté disparaîtrait.  Une telle approche a été très utile aux inerrantistes : on pourrait donner exemple après exemple de prétendues erreurs bibliques identifiées par les générations précédentes et qui ont maintenant été résolues à la lumière de découvertes plus récentes.  Un de mes exemples préférés est Sargon II, un roi assyrien mentionné dans Ésaïe 20.1.  Des critiques antérieures ont prétendu que la référence à Sargon était une erreur parce qu'il n'y avait absolument aucune preuve qu'un roi assyrien nommé Sargon II ait existé - jusqu'à ce que des archéologues creusant dans la région de Khorsabad découvrent le palais d'un certain Sargon II !  Nous avons maintenant plus d'informations sur Sargon que sur tout autre ancien roi assyrien.

Maintenant, la question soulevée par votre message est de savoir quelle devrait être notre réaction si nous devenons convaincus qu'il y a vraiment une erreur dans la Bible.  Une telle conclusion n'aura-t-elle pas une forme d'effet de retournement sur notre chaîne de raisonnement déductif, nous amenant à nier la résurrection et la divinité de Jésus ?  C'est apparemment la conclusion de Bart Ehrman, qui dit avoir perdu sa foi en Christ parce qu'il a découvert une petite erreur dans les Évangiles.

Une telle conclusion n'est pas justifiée pour deux raisons.  Premièrement, il se peut que nous devions plutôt revoir notre compréhension de ce qui constitue une erreur.  Personne ne pense que lorsque Jésus dit que la graine de moutarde est la plus petite de toutes les graines (Marc 4.31), c'est une erreur, même s'il existe des graines plus petites que la graine de moutarde.  Pourquoi ?  Car Jésus n'enseigne pas la botanique ; il cherche à transmettre un enseignement sur le Royaume de Dieu, et l'illustration est accessoire à son enseignement.   Les défenseurs de l'inerrance affirment que la Bible fait autorité et est inerrante dans tout ce qu'elle enseigne ou tout ce qu'elle a vocation d'affirmer.  Cela soulève l'énorme question de savoir ce que les auteurs de l'Écriture ont l'intention d'affirmer ou d'enseigner.  Les différences de genre auront une incidence significative sur notre réponse à cette question.  La poésie n'est évidemment pas destinée à être prise au pied de la lettre, par exemple.  Mais alors, qu'en est-il des Évangiles ?  Quel est leur genre ?  Les chercheurs en sont venus à découvrir que le genre auquel les Évangiles se rapprochent le plus est la biographie ancienne.  C'est important pour notre interrogation car la biographie ancienne n'a pas pour but de fournir un récit chronologique de la vie du héros de son berceau à sa tombe.  A la place, une biographie ancienne relate des anecdotes qui servent à illustrer les vertus du caractère du héros.  Ce que l'on pourrait considérer comme une erreur dans une biographie moderne ne doit pas du tout se comprendre comme une erreur dans une biographie ancienne.  Pour illustrer mon propos, à un moment de ma vie chrétienne, j'ai cru que Jésus avait en fait purifié le Temple de Jérusalem à deux reprises, une fois vers le début de son ministère, comme le raconte Jean, et une fois vers la fin de sa vie, comme nous le lisons dans les Évangiles synoptiques.  Mais une lecture des Évangiles en tant que biographies anciennes nous dispense d'une telle supposition, car un biographe ancien peut relater des événements de manière non chronologique.  Seul un lecteur peu familier (et sans compréhension) considérerait le fait que Jean ait fait remonter la purification du Temple à un moment antérieur de la vie de Jésus comme une erreur de sa part.

Nous pouvons étendre ce point en considérant la proposition selon laquelle les Évangiles devraient être compris comme des présentations différentes, en quelque sorte, de la transmission de la tradition orale.  L'éminent spécialiste du Nouveau Testament Jimmy Dunn, inspiré par les travaux de Ken Bailey sur la transmission de la tradition orale dans les cultures du Moyen-Orient, a vivement critiqué ce qu'il appelle le "modèle stratigraphique" des Évangiles, qui les considère comme composés de différentes couches superposées sur une tradition primitive.  (Voir James DG Dunn, Jesus Remembered [Grand Rapids, Michigan : William B. Eerdmans, 2003].) Sur le modèle stratigraphique, chaque minuscule écart par rapport à la couche précédente occasionne des spéculations sur les raisons du changement, conduisant parfois à des hypothèses plutôt fantaisistes concernant la théologie de certains rédacteurs.  Néanmoins, Dunn insiste sur le fait que la tradition orale fonctionne très différemment.  Ce qui importe, c'est que l'idée centrale soit véhiculée, souvent par le biais de quelques mots clés et culminant au travers de certains discours qui sont répétés mot pour mot ; mais les détails environnants sont plus souples car accessoires au récit.

L'exemple le plus proche de cela dans notre culture occidentale non-orale est probablement le fait de raconter une blague.  Il est important de bien comprendre la structure et la chute, mais le reste est accessoire.  Par exemple, il y a de nombreuses années, j'ai entendu la blague suivante :

"Que dit un calviniste quand il tombe dans une cage d'ascenseur?"

"Je ne sais pas."

"Il se lève, se dépoussière et dit: Ouf! Je suis ravi que cela soit arrivé !"

Récemment, quelqu'un d'autre m'a raconté ce qui était clairement la même blague.  Mais elle l'a raconté de la manière suivante:

"Savez-vous ce qu'un calviniste dit quand il tombe dans un escalier?"

"Non."

"Ouf ! Je suis ravi que cela soit arrivé !"

Remarquez les différences dans la manière de raconter cette blague ; mais observez comment l'idée centrale et surtout la chute sont identiques.  Eh bien, lorsque vous comparez plusieurs des récits concernant Jésus dans les évangiles et que vous identifiez les termes qui leur sont communs, vous retrouvez un schéma comme celui-ci.  Il y a des variations au niveau des détails secondaires, mais très souvent le propos central est presque mot pour mot le même.  Et rappelez-vous, cela se passe dans une culture qui ne connaissait même pas les guillemets !  (Ceux-ci sont ajoutés uniquement dans les traductions afin d'indiquer le discours direct ; pour avoir une idée de la difficulté de déterminer exactement où s'arrête un discours direct, il suffit de lire le récit de Paul et de son désaccord avec Pierre dans Galates 2 ou de l'entretien de Jésus avec Nicodème dans Jean 3).  Les récits des Évangiles ne doivent donc pas être considérés comme des évolutions d'une tradition primitive antérieure, mais comme des représentations différentes de la même tradition orale.

Si Dunn a raison, cela a d'énormes implications sur la doctrine de l'inerrance biblique, car cela signifie que les évangélistes n'avaient pas l'intention que leurs récits soient considérés comme des rapports de police, précis dans les moindres détails.  Ce que nous, dans une culture non orale, pourrions considérer comme une erreur ne serait pas du tout considéré comme une erreur pour eux.

J'ai été surpris par votre déclaration selon laquelle vous ressentez "un certain ressentiment contre Dieu pour avoir laissé les rédacteurs de la Bible jouer aux dés avec Ses Paroles et de ne pas avoir apporté une plus grande précision permettant d'avoir plus de certitude sur ce qui vient de Lui et ce qui ne vient pas de Lui.".   Josué, vous imposez à Dieu ce que vous pensez devoir être les normes de l'inerrance au lieu de vous référer aux Écritures pour apprendre d'elles ce que signifie l'inerrance.  Les rédacteurs de la Bible ne jouent pas aux dés avec Ses Paroles si Dieu n'a jamais voulu que Ses paroles soient perçues comme vous le suggérez.  Une Bible dont les genres sont très variés ne doit pas être abordée comme un simple livre monocorde.  Nous devons nous approcher de la Parole de Dieu avec humilité et apprendre d'elle ce qu'elle a pour intention d'enseigner et d'affirmer.

Jetez un coup d'œil à mon article«Les hommes poussés par le Saint-Esprit ont parlé de Dieu» (2 Pierre 1.21): Une perspective de la science moyenne sur l'inspiration biblique »,sous Articles Académiques: Omniscience pour découvrir une proposition sur la façon de concevoir l'inspiration verbale, plénière et cohérente de l'Écriture.

Donc, si nous sommes confrontés à ce qui semble être une erreur dans les Écritures, nous devons d'abord nous demander si nous n'imposons pas aux Écritures une norme d'inerrance qui est étrangère au genre littéraire et à l'intention de son auteur.  Je me souviens que le Dr Kantzer a fait remarquer un jour que beaucoup de ses partisans seraient choqués d'apprendre les éléments qu'il était prêt à tolérer dans les Écritures sans les appeler des erreurs.  Il a compris que nous devons nous placer dans le contexte des rédacteurs originaux avant de leur reprocher des erreurs.

Mais deuxièmement, supposons que vous ayez fait tout cela et que vous soyez toujours convaincu que les Écritures ne sont pas inerrante.  Cela signifie-t-il que la divinité et la résurrection du Christ vont s'effondrer ?  Non, pas du tout.  Car la prémisse la plus affaiblie dans les deux syllogismes ci-dessus serait la prémisse (5), et non pas la prémisse (2).  Comme vous le reconnaissez, nous avons un plaidoyer très solide concernant la résurrection de Jésus.  Ce plaidoyer ne dépend nullement de l'innerance de la Bible.  Cela est devenu très clair pour moi durant mes études doctorales à Munich avec Wolfhart Pannenberg.  Pannenberg avait secoué la théologie allemande en soutenant qu'un plaidoyer historique solide pouvait être avancé concernant la résurrection de Jésus.  Pourtant, il croyait aussi que les récits des apparitions de résurrection de l’Évangile étaient légendaires au point de n'avoir quasiment pas de noyau historique !  Il ne se fiait même pas au récit de Marc concernant la découverte du tombeau vide.  Son argument était plutôt fondé sur la première tradition pré-paulinienne concernant les apparitions dans I Corinthiens 15.3-5 et sur la considération qu'un mouvement basé sur la résurrection d'un homme mort aurait été impossible à Jérusalem en présence d'un tombeau contenant son cadavre.

Les évangéliques affirment parfois du bout des lèvres que les Évangiles sont historiquement fiables, même lorsqu'ils ont été évalués par les spécialistes de la recherche historique ordinaire ; mais je me demande s'ils le croient vraiment.  Il est vraiment vrai qu'il est possible de présenter un plaidoyer solide et persuasif sur la résurrection sans pour autant devoir invoquer l'inerrance des Évangiles.

En revanche, l'argument de la croyance de Jésus sur le fait que les Écritures de l'Ancien Testament sont inerrantes est beaucoup plus faible.  Je pense qu'il ne fait aucun doute que (5) est la prémisse qui devrait disparaître si l'on devait abandonner l'inerrance biblique.  Dans ce cas, nous devrions repenser notre doctrine sur l'inspiration, mais nous ne devrions pas renoncer à croire en Dieu ou en Jésus, comme l'a fait Bart Ehrman.  En tant que chrétien, Ehrman avait, me semble-t-il, un système de croyances théologiques bancal.  Il semble que la fondation de sa structure de croyances théologiques se trouvait dans l'inerrance biblique, et que tout le reste, comme la foi en la divinité du Christ et en sa résurrection, en dépendait. Une fois la fondation disparue, toute la structure s'est rapidement effondrée.  Mais quand on y pense, une telle structure est profondément bancale.  La fondation de notre structure de croyances devrait se trouver dans certaines croyances fondamentales comme la croyance que Dieu existe, la divinité et la résurrection du Christ comme piliers de notre fondation.  La doctrine de l'inspiration de l'Écriture devrait être un peu moins structurantes et l'inerrance encore moins que l'inspiration.  Ainsi si l'inerrance disparaît, la structure ressentira quelques tremblements, mais nous ajusterons notre doctrine d'inspiration en conséquence, et la structure ne s'effondrera pas car la croyance en Dieu et en Christ et sa résurrection ne sera pas touchée par la perte de l'innerance.

Donc, plutôt que de nuire à votre foi, j'espère que les études bibliques pourront devenir pour vous, comme elles l'ont été pour moi, une source de renouveau, de stimulation et de soutien.

- William Lane Craig