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#449 Est-il justifié de croire en des valeurs et des devoirs moraux objectifs ?

March 14, 2020
Q

Bonjour Dr Craig,

Je voulais vous remercier pour tout votre travail! Je suis récemment devenu un partenaire solidaire de Reasonable Faith parce que je me sens très engagé dans votre ministère. Merci ! Concernant ma question, je voulais vous interroger sur la deuxième prémisse de l'argument moral. J'ai essayé de régler le problème par moi-même mais j'ai l'impression de rater quelque chose. J'ai lu votre "Question de la Semaine" concernant le fondement de la deuxième prémisse de l'argument moral et j'en ai compris que finalement nous ne faisons pas appel à Dieu comme fondement des valeurs morales dans cette prémisse. Nous faisons plutôt appel à l'expérience morale. Maintenant, l'athée pourrait donner un défaiseur à notre expérience en disant que c'est l'évolution qui nous a inculqué cette "morale du troupeau". Mais, bien sûr, il s'agit là d'un sophisme génétique. Il pourrait alors dire que nos valeurs morales n'ont aucune justification, même si elles sont vraies, car l'évolution vise la survie et non la vérité. Et c'est à partir de là que cela devient floue pour moi. Je comprends que dans le cadre du naturalisme, toutes nos croyances visent à la survie et, par conséquent, on ne peut pas faire confiance au paradigme naturaliste. Mais, un autre argument contre cela dans votre publication est qu'il est très probable que Dieu voudrait que nous ayons des appréhensions correctes de la moralité. Cette seconde objection à l'athéisme n'implique-t-elle pas que la seule façon de parvenir à la conclusion que "les valeurs et les devoirs moraux objectifs existent" est de croire, en fin de compte, que Dieu existe ? Et n'est-ce pas circulaire? Il semble qu'il serait bien mieux de répondre à l'athée que l'objection est autodestructrice et d'en rester là. Avec cette objection, dites-vous simplement qu'il y a une "possibilité" que Dieu existe, et donc, qu'il est possible qu'il veuille que nous ayons des croyances correctes s'Il existe ?

Autrement, le raisonnement pour croire la prémisse #2 semble être le suivant :

1) Si Dieu existe, alors il veut que nous ayons des appréhensions correctes de la morale

2) S'il veut que nous ayons des appréhensions correctes de la morale, alors mes appréhensions morales (quelle qu'en soit la source dérivée) sont vraisemblablement correctes

3) Dieu existe

4) Donc mes appréhensions sont vraisemblablement correctes

5) Donc il existe des valeurs et des devoirs moraux objectifs

C'est évidemment circulaire parce que nous croyons déjà que Dieu existe pour arriver à la conclusion que des valeurs et des devoirs moraux objectifs existent. Alors, je me demandais comment vous répondriez à un athée qui prétend que nous justifions la prémisse #2 par la croyance que Dieu existe ? La deuxième objection à l’explication sociobiologique semble être circulaire, à moins que vous ne disiez par exemple cela :

1) Il est possible que Dieu existe

2) S'il est possible que Dieu existe, alors il est possible que Dieu veuille que nous ayons des appréhensions correctes de la morale

3) Donc il est possible que mes appréhensions morales soient correctes.

C'est un argument plus prudent, mais qui laisse au moins la porte ouverte sur le fait que nos appréhensions morales soient correctes. Alors, est-ce que j'ai bien compris en pensant que nous essayons simplement de laisser ouverte la possibilité que nos croyances morales puissent être correctes afin de surmonter l'objection de l'athée selon laquelle nous ne pouvons pas y croire dans le cadre du naturalisme ? J'espère que j'ai été intelligible !

Merci pour votre travail!

Austin

États-Unis

Dr. Craig

Dr. craig’s response


A

Merci, Austin, pour votre engagement envers Reasonable Faith! Permettez-moi de reprendre votre question à l'endroit où cela «devient floue». La question qui nous est posée ne concerne pas la vérité de la prémisse

2. Des valeurs et des devoirs moraux objectifs existent.

mais notre justification pour le croire.

Je prétends que nous avons raison de croire (2) sur la base de notre expérience morale, à moins et jusqu'à ce que nous ayons un défaiseur de cette expérience, tout comme nous avons raison de croire qu'il y a un monde d'objets physiques autour de nous sur la base de notre expérience sensorielle, à moins et jusqu'à ce que nous ayons un défaiseur de cette expérience. Un tel défaiseur devrait montrer non seulement que notre expérience morale est faillible ou défaisable, mais aussi qu'elle n'est absolument pas fiable pour appréhender des des valeurs ou des devoirs moraux objectifs. Notre expérience morale est cependant si puissante qu'un tel défaiseur devrait être incroyablement puissant pour surmonter notre expérience, tout comme notre expérience sensorielle est si puissante qu'un défaiseur de ma croyance dans le monde des objets physiques que je perçois devrait être incroyablement puissant pour que j'en arrive à croire que je n'ai aucune bonne raison de penser que je ne suis pas un cerveau dans une cuve de produits chimiques ou un corps reposant dans la Matrice. Comme Louise Antony l'a dit dans notre débat, tout argument en faveur du scepticisme moral reposera sur des prémisses moins évidentes que l'existence de valeurs et de devoirs moraux objectifs eux-mêmes, c'est-à-dire la prémisse (2).

Quel est donc ce soi-disant puissant défaiseur de (2) qui montre que mon expérience morale est totalement indigne de confiance ? Est-ce seulement que nos croyances morales sont le résultat d'un développement évolutif et visent donc la survie, et non la vérité ? Il n'y a que cela ? Eh bien, quelles sont les preuves de cela ?

En fait, il n'y a aucune preuve convaincante concernant le fait que nos croyances morales seraient le produit de l'évolution biologique. Dans une étude complexe des travaux contemporains sur les théories évolutionnistes de la moralité, le biologiste Jeff Schloss rapporte que "non seulement nous manquons actuellement d’explications évolutionnistes de la moralité qui soient totalement satisfaisants, mais les nombreuses explications que nous avons sont également disparates et sont souvent présentés par des exégètes connus comme ayant résolu des questions qui sont finalement toujours en plein débat."[1].Dans une correspondance personnelle, Schloss a écrit:

l'argument évolutionniste de la démystification... implique que les croyances morales sont en fait suffisamment expliquées par la sélection naturelle... il ne fait aucun doute qu'elles ne le sont pas. Les dispositions à l'égard de certains comportements ... (réciprocité, soins parentaux, etc.) ont des explications évolutionnistes plutôt convaincantes. Mais... nous n'avons pas vraiment de proposition évolutionniste plausible pour les croyances morales associées à ces comportements. J'ai fait une revue assez récente de la littérature... et je n'ai trouvé aucun exposé cohérent concernant les croyances morales ou même les intuitions normatives.[2]

Et pourtant, avec quelle facilité nous permettons aux debunkers de s'en tirer avec de simples gestes de la main ou de vagues généralisations comme prétendus défaiseurs de notre expérience morale ! Le puissant défaiseur n'existe tout simplement pas.

De plus, - et c'est le point sur lequel vous vous interrogez - l'affirmation selon laquelle, parce que nos croyances morales ont évolué, elles visent la survie, et non la vérité, présuppose l'athéisme. Car si Dieu existe, alors de manière plausible, nos croyances morales, bien qu'ayant évoluées, sont de manière générale fiables. Le défaiseur présuppose donc que le naturalisme est vrai, ce qui soulève la question. C'est le debunker de notre expérience morale qui a dans ce contexte la charge de la preuve concernant le défaiseur qu'il fournit à propos de notre expérience morale. Il doit donc prouver que nos croyances ne visent pas la vérité si elles ont évolué. Mais ce n'est évidemment pas vrai, sauf si l'on présuppose l'athéisme.

Donc, votre question : "Cette seconde objection à l'athéisme n'implique-t-elle pas que la seule façon de parvenir à la conclusion que "les valeurs et les devoirs moraux objectifs existent" est de croire, en fin de compte, que Dieu existe ? Et n'est-ce pas circulaire?" montre que vous n'avez pas saisis la dialectique ici. Le théiste offre une défense théologiquement neutre de (2), qui est, en réalité, partagée par la majorité des éthiciens aujourd'hui. Le debunker propose alors un défaiseur à cette expérience morale en affirmant que parce que nos croyances ont évolué, elles visent la survie, et non la vérité, et sont donc indignes de confiance. Le théiste se défait ensuite de ce défaiseur en demandant: "Quelle justification avez-vous concernant votre défaiseur ? Quelle est la preuve que, parce que nos croyances ont évolué, elles visent la survie, pas la vérité?" Il est inutile à ce stade pour le debunker de dire que son inférence est une conséquence du naturalisme, car le théiste est d'accord avec cela ! En effet, il dit exactement cela en défendant la prémisse (1) que si Dieu n'existe pas, les valeurs morales et les devoirs objectifs n'existent pas. Ce n'est donc pas le théiste mais le debunker qui se retrouve ici dans un raisonnement circulaire.

Votre reconstitution de mon argumentation montre que vous pensez à tort que le théiste offre une autre argumentation pour (2), alors qu'en fait il offre un défaiseur au défaiseur du debunker.

Finalement, le théiste offre un défaiseur supplémentaire au défaiseur du debunker en montrant que le défaiseur se réfute lui-même, ou que le naturalisme s'auto-réfute, un point que vous ne contestez pas.

Une fois que la dialectique est correcte, vous pouvez voir qu'il n'y a pas de problème.

[1] Jeffrey P. Schloss, «Darwinian Explanations of Morality: Accounting for the Normal but not the Normative », dans Hilary Putnam, Susan Nieman et Jeffrey Schloss, éd., Understanding Moral Sentiments: Darwinian Perspectives? (Piscataway, NJ: Transaction Publishers, 2014), p. 83.

[2] Jeffrey Schloss à WmLC, le 17 et 22 septembre 2015.

- William Lane Craig

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